Sans gestion, la forêt est condamnée par le réchauffement climatique ?

La forêt est un écosystème, qui n’a pas besoin de l’action humaine pour se renouveler, c’est ce qui la distingue de l’agriculture. La question soulevée aujourd’hui est de savoir si la forêt a la capacité de s’adapter à des changements climatiques plus rapides que les processus évolutifs qui ont façonné nos écosystèmes.

S’adapter, oui mais à quel climat ?

Le maintien de conditions favorables à des habitats forestiers sous nos latitudes dépend avant tout des efforts d’atténuation des changements climatiques que nous réaliserons. En effet, les sorties des modèles climatiques utilisant les scénarios du GIEC montrent des situations très contrastées. Par exemple, les changements seraient modérés si on s’en tenait au scénario conforme à l’Accord de Paris, mais les modifications seraient bien plus profondes si c’est le scénario basé sur l’absence d’efforts pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre (RCP 8.5) qui se réalise. Les travaux scientifiques simulant l’évolution de « l’aire de confort » des essences forestières montrent ainsi des résultats très variables selon le scénario considéré : le paysage forestier est assez peu bouleversé par un scénario avec changements modérés, alors qu’avec le scénario RCP 8.5 c’est l’avenir même d’un couvert forestier dense et continu qui est remis en cause dans une grande partie du territoire.
Trop souvent, ce scénario RCP 8.5 est le seul mis en avant dans le débat, ou présenté comme le scénario « réaliste ». Les dépérissements massifs associés à un tel scénario sont alors présentés comme inéluctables et justifient la transformation de peuplements pourtant bien portants par coupe rase et plantation. Ce raisonnement alimente une forme de prophétie autoréalisatrice en entrainant une baisse immédiate du stock de carbone en forêt et en aggravant donc les changements climatiques. D’autre part, ce type de transformation radicale des écosystèmes peut accroitre la vulnérabilité. Par exemple, dans le cadre du plan de relance forestier, le douglas est la principale essence plantée à la place de peuplements existants alors que cette essence n’est pas mieux adaptée à un climat plus chaud que la majeure partie des essences locales en France métropolitaine.

Il ne faut pas condamner par principe les peuplements existants

L’action humaine est fréquemment présentée comme indispensable, au motif que la rapidité des changements climatiques en cours dépasse la vitesse de migration naturelle des espèces végétales.
Sans écarter cet argument, il est important de le mettre en perspective avec les travaux scientifiques les plus récents, qui montrent que la capacité de résilience individuelle et collective des arbres est un champ de recherche complexe et encore peu exploré. Pour le hêtre, par exemple, on s’attendait à voir d’abord des dépérissements dans le pourtour méditerranéen, mais, depuis 2018, les dégâts les plus forts apparaissent dans le nord-est. Il est probable que les écotypes régionaux et les liens fonctionnels développés avec l’ancienneté de l’espèce dans son milieu soient déterminants pour la résilience (1), grâce par exemple au rôle bien connu des mycorhizes dans l’alimentation hydrique et minérale des arbres (2).
Des travaux récents de l’INRAE sur la tolérance du peuplier à la sécheresse soulignent le potentiel adaptatif des mécanismes épigénétiques, c’est-à-dire de l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes. Immobiles par nature, les arbres qui vivent plusieurs centaines, voire milliers d’années, sont constitués de branches avec un génome et un épigénome qui leur est propre, ce qui permet aux arbres de s’adapter à un environnement changeant. Pour Françis Hallé (3), les vieux arbres seraient même plus proches d’une colonie d’individus que d’un individu. Les travaux de l’INRAE montrent que les épimutations induites par la sécheresse pourraient à leur tour induire des mutations génétiques et se transmettre d’une génération à l’autre, favorisant ainsi l’adaptation des arbres à de nouvelles conditions environnementales.

Les principes d’une gestion adaptative

Pour s’adapter à un changement, il existe deux grands types de stratégies : faire le pari de mesures interventionnistes anticipant de nouvelles conditions, au risque d’aggraver la crise (maladaptation), ou adopter des mesures « sans regret » qui, même si elles échouent, n’auront pas d’effets négatifs (4).
Or les mesures proactives sont principalement proposées sur des bases théoriques et selon Langridge (5) à peine 10% de ces mesures seraient aujourd’hui appuyées sur des données de terrain. En forêt, le risque de maladaptation est pourtant bien documenté (6) et élevé comme l’explique Magnan (7), qui conseille de focaliser l’attention non pas sur la recherche de l’action idéale, mais plutôt de celles qui vont permettre d’éviter d’aggraver les problèmes dans le futur.
Dans un rapport détaillé, ONERC (8) note : « La sylviculture intensive est un pari fonctionnant sur le principe du tout ou rien. Elle peut être comparée à un placement à haut rendement mais à haut risque. Les peuplements monospécifiques constituent une caisse de résonance pour tous les aléas qui pourraient survenir, climatiques (sécheresse, vent) mais aussi phytosanitaires. »
Pourtant, comme le note Barthod (9), les politiques publiques tentent à privilégier, depuis les années 1960, une approche agronomique de la forêt privilégiant « un message dominant voire unique de raccourcissement des révolutions et de dynamisation de la sylviculture ». Aujourd’hui, le changement d’essences justifié par les dépérissements semble occulter toutes les autres mesures d’adaptation possibles. Selon Barthod, le discours « donne parfois le sentiment de revenir à une approche qu’on pouvait croire révolue, assimilant de façon réductrice forêt et peuplement forestier et en faisant l’impasse, au nom de l’urgence d’agir, sur une bonne partie de ce qu’a pu apporter à la gestion forestière la réflexion sur la durabilité ».
Une approche plus pragmatique et moins risquée de l’adaptation consiste à s’appuyer sur les écosystèmes existants et à favoriser leurs capacités de résilience plutôt que de tenter de construire une « résilience » future, basée sur des plantations et itinéraires théoriquement adaptés.
Dans un contexte d’incertitude, il convient ainsi de préférer aux opérations brutales ou décidées à partir de modèles théoriques, une chaîne observation-expérimentation-ajustement permettant de tester des actions prudentes et observer la réaction des forêts aux pratiques. C’est le principe de la « gestion adaptative », qui s’appuie sur l’apprentissage pour adapter les pratiques (10). Dans cette approche, il s’agit d’adapter nos pratiques plutôt que la forêt, qui évolue sous l’effet combiné des processus naturels et des pratiques.

Notes de bas de page :

(1) : Rodrigo Muñoz, Frans Bongers, Danaë M.A. Rozendaal, Edgar J. González, Juan M. Dupuy, Jorge A. Meave (2021) : Forest Ecology and Forest Management Crop and Weed Ecology Plant Production Systems. Wageningen University.

(2) : Courbet F., Martin-St Paul N., Simioni G., Doussan C. & Ladier J. (2019) : Agir sur la sensibilité à la sécheresse par la sylviculture. Forêt-Entreprise 249 :46-48.

(3) : Hallé, F. (2005) : Plaidoyer pour l’arbre, Actes Sud

(4) : Heller N.E. & Zavaleta E.S. (2009) Biodiversity management in the face of climatic change : a review of 22 years of recommendations. Biological Conservation 142 : 14-32.

(5) : Langridge J., Sordello R. & Reyjo Y (2020) : Synthèse des mesures possibles pour favoriser l’adaptation de la biodiversité au changement climatique basée sur Prober et al. (2019) et Heller & Zavaleta (2009). Rapport LIFE NATUR’ADAPT /. LIFE NaturAdapt – UMS Patrinat (MNHN, CNRS, OFB), avril 2020, 24 p.

(6) : Schipper E.L.F. (2020) : Maladaptation: When Adaptationto Climate Change Goes Very Wrong. One Earth October 23 : 409-414. https://doi.org/10.1016/j.oneear.2020.09.014

(7) : Magnan A.  [2013]. Eviter la maladaptation au changement climatique. Institut du développement durable et des relations internationales. Policy Brief 8/13 : 1-4 (4 p., 8 réf.).

(8) : ONERC (2014) : L’arbre et la forêt à l’épreuve d’un climat qui change. Observatoire National des effets du Réchauffement Climatique, Rapport au Premier ministre et au Parlement, La Documentation Française, Paris.Bartoli M. (2019) : Réflexions critiques sur la migration assistée. La forêt privée 367:68-74.

(9) : Barthod C. (2013) : Le forestier au risque de l’anthropocène. Revue Forestière Française 65 : 365-374.

(10) : Cordonnier T. et Gosselin F. (2009) : La gestion forestière adaptative : intégrer l’acquisition de connaissances parmi les objectifs de gestion. Revue forestière Française 61 : 131-143.

Photo Stop Jean Luc Pillard
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