Il n’y a pas de déforestation en France car la surface forestière augmente ?

Oui, mais…

Depuis le milieu du XIXème siècle, jamais la surface forestière n’a été aussi grande en France métropolitaine. C’est vrai, mais la qualité écologique de nos forêts est discutable.

Une forêt très enrésinée dans certaines régions

La France possède la plus grande forêt artificielle d’Europe occidentale, le massif des Landes, avec près d’un million d’hectares, dont 9/10ème en pin maritime.
De plus, entre 1947 et 1999, 2,3 millions d’hectares ont été plantés, majoritairement des résineux et des peupliers clonés. Ces plantations ont été subventionnées par le Fonds Forestier National (FFN), créé en 1946 pour soutenir le développement de la filière bois et exploiter les forêts de façon plus rationnelle, en encourageant le reboisement et en favorisant l’accès des forêts aux transporteurs de grumes. Par exemple, le FFN a soutenu la conversion de 800 000 ha de taillis feuillu en résineux. Cet enrésinement a appauvri la biodiversité, rendant les peuplements plus fragiles et moins résilients. Ces aides ont également contribué à privilégier certaines essences (épicéas, douglas) et certaines souches au détriment de la diversité génétique. L’épicéa, espèce montagnarde, a été planté en plaine dans des régions où la pluviométrie est inférieure à celle du climat montagnard et sur des sols à faible rétention d’eau, le rendant ainsi plus sensible aux sécheresses et aux attaques de scolytes. C’est ce qui est en train de se passer en Région Grand Est, où 10 504 hectares d’épicéas ont été exploités par coupe rase en 2018-2019. Et l’on reparle de plantations en plein…
L’enrésinement avec des conifères allochtones (épicéas et Douglas) a été important dans le massif Vosgien, le Limousin, l’ouest de la France ou encore le Morvan. Les conifères (autochtones et allochtones) représentent 21% de la surface forestière française (1) contre 67% pour les feuillus et 12% pour les peuplements mixtes.

La moitié des forêts sont des monocultures

La moitié de la forêt française est constituée de peuplements monospécifiques* (7,3 millions d’ha) (2). Ensuite, on dénombre un tiers de peuplements à deux essences et 16 % de peuplements à plus de deux essences. Les plantations de conifères fournissent une grande part de ces peuplements monospécifiques : entre 60 et 70% des surfaces pour le douglas et les pins maritime, noir et laricio.

La forêt est très jeune

En France, 50% des arbres ont moins de 60 ans et 79% ont moins de 100 ans, avec des écarts assez forts entre essences (3). Rien d’étonnant à cela puisqu’elle est soit issue de plantations du milieu du XXème siècle, soit le résultat d’une surexploitation au XIXème et/ou d’une exploitation par coupe rase. Cette faible maturité des forêts se reflète dans le volume à l’hectare, qui est en moyenne de 174 m³. Il est plus élevé en forêt publique (198 m³/ha) qu’en forêt privée (166 m³/ha) (4). Il dépasse les 200 m³/ha dans les régions de l’Est de la France. A titre de comparaison, les forêts matures ont des volumes à l’hectare qui s’échelonnent entre 450 et 500 m3/ha et qui peuvent être encore supérieurs pour certaines forêts de montagne.

Une forêt pauvre en bois mort

Le bois mort est un bon indicateur de la richesse écologique d’une forêt, or on dénombre environ 23 m3/ha de bois mort dans les forêts françaises (6,8 m3/ha de bois mort sur pied et chablis et 16 m³/ha de bois mort au sol). On est loin des quantités de bois mort des réserves naturelles forestières, qui sont en majorité comprises entre 40 et 70 m3/ha, voire, pour les plus vieilles forêts, 96 m3/ha dans la réserve naturelle nationale Frankenthal-Missheimle ou 219 m3/ha dans la réserve forestière intégrale de la Tillaie à Fontainebleau. Non seulement la quantité de bois mort est insuffisante, mais la diversité de ces bois morts au sol est faible, puisque 60% sont des morceaux de moins de 20 cm de diamètre. Comme pour le volume de bois vivant, les deux tiers du volume de bois mort sont des feuillus. Par contre, la part individuelle des essences est fortement différente. Ainsi le châtaignier représente à lui seul 20 % du bois mort.

Des forêts en mauvais état écologique

Ce mauvais état écologique découle des caractéristiques citées précédemment. Les plantations denses de conifères sont des déserts biologiques avec un épais tapis d’aiguilles au sol, où rien d’autre ne pousse. De plus, une espèce comme l’épicéa acidifie les sols et les cours d’eau. Les monocultures d’arbres ne favorisent en rien la diversité du vivant, contrairement aux forêts mélangées. Les jeunes forêts ne peuvent pas abriter la diversité spécifiquement forestière, celle liée aux stades âgés et sénescents (lichens, mousses, champignons lignivores, insectes saproxyliques). En milieu tempéré, 25 à 30% de la diversité forestière est liée aux vieilles forêts. En plus du bois mort, les micro-habitats (fente, cavité, trou de pic, décollement d’écorce, etc.) situés dans les vieux arbres vivants ou morts constituent un autre indicateur de la richesse écologique des forêts. Ces micro-habitats ne sont pas comptabilisés par l’Inventaire Géographique National. Les grands arbres vivants de gros diamètre (plus de 90 cm) sont également fondamentaux pour la nidification de grandes espèces rares comme la cigogne noire ou certains rapaces (aigle botté, milan royal, autour des palombes), qui installent leurs nids au sommet de ces monuments naturels. Ces grands arbres sont menacés par les coupes s’ils ne sont pas identifiés pour être conservés.

Des forêts en mauvais état écologique

Même si la forêt résiste mieux que les milieux agricoles à la chute de la biodiversité, on enregistre une baisse de 3% des populations d’oiseaux communs en milieu forestier entre 1989 et 2017. De plus, certaines espèces forestières emblématiques comme le grand tétras et la gélinotte sont devenues très rares, voire menacées de disparition dans le massif Vosgien et régressent dans le massif Jurassien. Le grand tétras est lié aux vieilles forêts de type hêtraie-sapinière avec des ouvertures naturelles et la gélinotte a besoin de la présence d’espèces qui sont souvent éliminées par la sylviculture (bouleau, saule, sorbier, alisier, noisetier).

Planter pour protéger

On plante pour produire du bois, mais on peut aussi planter pour stabiliser et restaurer les sols pentus. C’est ce qu’on appelle la restauration des terrains de montagne ou RTM. De la fin du XVIIIème à la moitié du XIXème, la pression démographique a conduit les populations rurales à surexploiter les terres en montagne, notamment par le surpâturage, l’écobuage et le défrichement des forêts. Ces terres dénudées ont provoqué inondations, glissements de terrain, coulées de boue, érosion et turbidité de l’eau. Le lancement de la RTM est donné en 1860 par une loi sur le reboisement en montagne qui impose ce dernier en le rendant d’utilité publique. Entre 1882 et 1914, 300 000 hectares ont été reboisés (5) avec majoritairement des conifères, naturellement dominants en montagne (pin noir d’Autriche, pin sylvestre, pin à crochets, cèdre de l’Atlas, sapin et épicéa) mais également avec des feuillus comme le hêtre en montagne ou le long des torrents (saule, aulne, peuplier). Même si de nombreux reboisements ont été monospécifiques, ils se sont enrichis en feuillus, venus spontanément. De plus, certains reboisements ont été conçus en mélange, qui apparaissent aujourd’hui comme des futaies irrégulières, comme c’est le cas sur le Mont Aigoual dans les Cévennes.

Les boisements spontanés : champions de la reconquête

Durant la période des reboisements soutenus par le FFN, ce sont très majoritairement des boisements spontanés qui se sont installés, liés à la déprise agricole : pour un 1 ha planté, environ 5 ha se sont boisés naturellement, soit, entre 1947 et 1999 : 4 millions d’ha. Aujourd’hui, on peut considérer qu’il existe 5,1 millions d’ha de terres sans usage (6). Les boisements spontanés sont surtout situés dans les départements méditerranéens (Corse, Alpes-de-Haute Provence, Var, Hérault) et, de manière plus contrastée, dans les montagnes (Alpes, Pyrénées, Massif Central et ses marges sud-orientales). Les boisements spontanés ne sont pas des milieux homogènes pauvres en biodiversité comme le pensent à tort de nombreux naturalistes. Une thèse consacrée à la comparaison de la biodiversité (végétation, carabes, araignées) des forêts anciennes et des boisements spontanés en Bretagne a montré que ces derniers présentent des niveaux de richesse et/ou de rareté (taxonomique, fonctionnelle et phylogénétique) étonnamment proches de ceux des forêts anciennes. N’oublions pas que ces boisements spontanés, majoritairement feuillus, constituent un mode de restauration naturelle des milieux anthropiques, résilients face aux changements climatiques, et qui seront les forêts à caractère naturel de demain si nous avons la sagesse de les laisser en libre évolution sur le temps long.

Encore et toujours des défrichements

Malgré l’augmentation des surfaces boisées naturellement ou par plantations, près de 65 800 ha sont artificialisés chaque année en métropole (7). Cette artificialisation concerne des sols naturels, agricoles mais aussi forestiers et notamment parmi les terres en friche ou couvertes de boisements spontanés. Pour les sols forestiers, on parle alors de défrichement. Le défrichement d’une forêt est une « opération volontaire entraînant directement ou indirectement la destruction de l’état boisé d’un terrain, mettant fin à sa destination forestière » (Article L341-1 du code forestier). Avec un rythme de 1,4 % en moyenne par an, l’artificialisation a augmenté trois fois plus rapidement que la population.

Une protection intégrale très insuffisante

Pour le poète René Char «Pour qu’une forêt soit superbe, il lui faut l’âge et l’infini». L’infini n’existe pas dans notre pays façonné par les activités humaines tant la forêt est fragmentée par de nombreux chemins, layons, cloisonnements, routes, canaux et autoroutes. L’âge n’y est pas tant les forêts sont jeunes et les rares îlots de vieilles forêts sont insuffisamment protégés. Ainsi, les réserves forestières intégrales ne représentent que 0,13% des forêts métropolitaines (12).

Photo Stop Jean Luc Pillard
Je veux un vrai débat sur l’avenir de notre forêt !